La Dystopie des Cybertariens

Une fiction en 11 chapitres décrivant l'état du monde après la crise du Covid-19

II - Destruction du Matérialisme

Rester enfermé chez soi pendant des semaines... Insupportable. Tout un chacun rivalise d’imagination pour tromper l’ennui. Les contacts physiques étant interdits « pour notre bien », tout se fait en ligne. Télétravail pour ceux qui le peuvent, apéros par webcam interposée, achats de produits sur les sites d’e-commerce, défis via les réseaux sociaux… Internet est le seul moyen de continuer à mener un semblant de vie.

Même les grands rassemblements populaires s’organise grâce à l’informatique. Les artistes confinés donnent des concerts depuis leur salon. Les manifestants postent en ligne des images exprimant leurs revendications. Il se pourrait qu’à l’avenir, les rencontres sportives se déroulent à huis-clos, sans doute avec retransmission en direct à la télévision.

Les chercheurs spirituels affirment que cette période de confinement est une formidable occasion de se consacrer à l’introspection. Ils sont convaincus que la chute annoncée du capitalisme sera suivie d’une période de renouveau où les peuples, désintoxiqués du conditionnement consumériste, embrasseront avec enthousiasme des valeurs plus humanistes.

Pourtant cette voie idyllique est loin de se profiler à l’horizon. C’est plutôt l'égoïsme et la paranoïa qui gagnent du terrain. Derrière l’apparente bonne volonté de « protéger des vies », chacun tremble pour la sienne. La propagande a complètement lavé le cerveau d’un bon nombre de personnes pour qui le contact humain est devenu source d’angoisse, synonyme de mort foudroyante dans d’atroces souffrances. N’importe qui pourrait les tuer en respirant trop près d’eux. Si l’air extérieur est fatal, autant s’enfermer en sécurité chez soi.

Comment reprendre une vie normale lorsqu’on considère l’autre comme un assassin qui s’ignore ? Comment apprécier une soirée au bar ou au restaurant en évitant le contact rapproché avec qui que ce soit ? Comment se trémousser dans un festival ou en boîte de nuit s’il faut respecter les gestes barrières ? Comment virevolter sur les manèges des parcs d’attraction en prenant soin de s’éloigner de tout le monde ?

La réponse passe par les smartphones, fidèles compagnons de nos jours et de nos nuits. Il suffira de télécharger une application sur notre téléphone portable. Elle nous sifflera à chaque fois qu’un « assassin biologique » s’approchera trop près de nous. Elle nous dira à quel moment nous isoler car nous avons été en contact avec un « meurtrier viral ». Elle nous ordonnera de nous enfermer à domicile dès que le gouvernement estimera qu’une vague épidémique menace notre santé. Le virus est invisible alors nous nous en remettons à la FAO, la Fuite Assistée par Ordinateur. Le smartphone sonnera opportunément l’heure de la débandade collective.

Est-ce que ces mesures soi-disant sanitaires ont pour objectif de cultiver la phobie du contact humain ? La famine de lien social nous pousse mécaniquement vers l'appareil connecté au réseau informatique.

Cette gestion de crise signe l’arrêt de mort du matérialisme. Dans le mode de vie confiné, quasiment tout est dématérialisé. Notre mode de vie est devenu essentiellement numérique. Les précautions qu’il faudra respecter à la fin du confinement rendront l’existence matérielle ingérable, invivable, infernale. Face à l’impossibilité d’appliquer les mesures sanitaires, nous devrons nous résigner à nous enfermer de nouveau chez nous pour vivre, travailler, s’amuser, virtuellement via nos équipements électroniques.

Pendant ce temps dans la vraie vie